Marjolaine Meynier-Millefert, Présidente de l’Alliance HQE-GBC France est intervenue en ouverture de la séquence décarbonisation du secteur du bâtiment à la COP26 à Glasgow en Ecosse dans un discours intitulé « La décarbonation du secteur du bâtiment 5 ans après la COP21 : quelles clés de réussite ? Quelle est la suite ? ».
Mesdames et Messieurs,
Marjolaine Meynier-Millefert, Présidente de l’Alliance HQE-GBC France et Députée de L’Isère
Invités distingués,
Bonjour,
« Comment le secteur des bâtiments va-t-il atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 ?
Dans les allées de cette 26e conférence contre le changement climatique, chacun mène ses propres batailles climatiques. Celle-ci c’est la mienne. C’est la mission que m’a confié le gouvernement français depuis 2017 et je suis fière de pouvoir vous présenter aujourd’hui l’engagement de la France dans cette tâche. Car, plus qu’une mission, ça a été mon obsession ces dernières années.
Mais ce qui est plus important, c’est que si vous êtes assis ici, à m’écouter, cela signifie que c’est aussi une bataille que vous menez. Je voudrais donc tout d’abord vous remercier pour votre propre travail et souligner à quel point je suis reconnaissante d’avoir l’occasion d’échanger avec vous tous sur la façon dont nous abordons chacun ce défi spécifique dans nos pays respectifs.
Partager nos savoirs durement acquis concernant ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas est la seule façon d’aller de l’avant. Et que nous le fassions ici me rend très optimiste.
Le secteur des bâtiments, en France, est responsable d’environ un quart des émissions de gaz à effet de serre… c’est-à-dire si l’on se concentre uniquement sur les 2 premiers périmètres que sont la consommation d’énergie au sein des bâtiments et la production d’énergie pour les bâtiments.
Si vous prenez également en compte le troisième périmètre, c’est-à-dire le carbone émis lors de la production de matériaux utilisés pour la construction ou la reconstruction, ce nombre grimpe pour atteindre environ un tiers de nos émissions totales de gaz à effet de serre.
Cela signifie évidemment que depuis les accords de Paris, le secteur des bâtiments est une cible prioritaire pour la France. Et il est juste aussi que la stratégie du secteur des bâtiments soit un thème clé de la conférence de cette année. On parle de 10 milliards de tonnes de CO2 émises en 2019. C’est 38% des émissions totales mondiales… 38% !
En France, le secteur représente également environ la moitié de la consommation finale d’énergie, principalement pour assurer les besoins de chauffage et de rafraîchissement des gens. Cela signifie que c’est aussi une question de santé, et une question de capacité à payer pour cette énergie.
La première étape logique était donc de réduire au minimum la consommation d’énergie dans les bâtiments neufs… Afin de ne pas rajouter de problèmes aux problèmes. A cet effet, la réglementation thermique de 2012 a poussé l’objectif énergétique français à rejoindre les plus bas au monde : elle préconisait un maximum de 50 kwh/m2/an. C’était important et ambitieux, mais pas suffisant.
Il fallait aussi tenir compte du fait que les nouvelles constructions ne représentent qu’environ 1% des bâtiments, et qu’à ce rythme, d’ici 2050, seulement 30% au mieux du parc immobilier total aurait été remplacé et aurait atteint les normes requises. Il était donc important de traiter les bâtiments existants aussi.
Ainsi, une loi votée en 2015, parallèlement aux accords de Paris, stipulait que d’ici 2050, tous les bâtiments existants, qu’ils soient publics ou privés, logements ou bureaux, devaient être rénovés afin de ne pas consommer plus de 80 kwh par m2 par an. L’objectif, à l’époque, était de s’attaquer à 500 000 logements par an. Mais nous avons pris du retard bien sûr, donc maintenant nous parlons d’un million de rénovations globales par an ! C’est énorme! C’est presque impossible !
Et jusqu’à récemment, à vrai dire, nous étions confrontés à un double problème : nous ne pouvions pas engager les ménages dans des rénovations suffisamment profondes et le nombre total de logements rénovés chaque année était encore insuffisant, quoi que nous fassions.
Je suis heureuse de dire qu’engager les gens à rénover n’est plus un problème. Grâce à une profonde transformation et simplification de notre dispositif de subventions, grâce à un soutien financier massif à cet objectif, grâce aussi, disons-le, au mouvement des gilets jaunes, qui a déclenché une prise de conscience sans précédent sur le fait que la rénovation des bâtiments est la clé d’une transition socialement juste, et grâce enfin au confinement COVID, qui a convaincu tout le monde, même au-delà des spécialistes, que la rénovation des bâtiments servait des finalités sanitaires et économiques autant qu’environnementales … grâce à tous ces facteurs réunis : la route vers la massification est enfin pavée !
Nous sommes aujourd’hui confrontés à un nouveau défi, celui de trouver la main-d’œuvre capable de transformer les objectifs climatiques en chantiers de rénovation réels. S’il est difficile d’évaluer combien de travailleurs seront nécessaires (est-ce deux fois plus ? Dix fois plus ?), on est sûrs qu’il faudra recruter massivement. Nous aurons besoin d’au moins 300 000 nouvelles recrues très vite ! J’ai presque envie de demander aux jeunes qui font la grève pour le climat ces jours-ci de plutôt se lancer dans une formation pour devenir des professionnels de la rénovation, car nous sommes et nous serons largement à court de main d’œuvre. Et ce serait un moyen très concret pour eux également d’agir pour le climat.
Au-delà de la rénovation des bâtiments, qui représente un grand défi opérationnel et de management, la véritable révolution environnementale que le secteur a entrepris ces derniers mois en France, est notre dernière réglementation du bâtiment. C’est vraiment cela qui va changer la donne.
Cette réglementation, la RE2020, a pour objectif de passer d’une réglementation essentiellement thermique (axée principalement sur l’utilisation de l’énergie) à une réglementation environnementale. Les nouvelles normes prendront ainsi en compte les émissions de gaz à effet de serre tout au long du cycle de vie du bâtiment, de la construction à la démolition. Il a en effet été démontré qu’un bâtiment à haute efficacité énergétique, bien conçu, dégagera plus de carbone au moment de sa construction, que dans sa phase d’utilisation s’il utilise une énergie bas carbone.
Pourquoi cela change-t-il la donne ? Parce que cela jette les bases d’une évaluation efficace des émissions de carbone dans tous les aspects d’un bâtiment et cela crée un cadre de transparence qui empêchera fondamentalement le greenwashing.
Cela encouragera les investisseurs à sélectionner pour chaque projet une combinaison de matériaux et de solutions techniques avec une nouvelle ligne directrice : il ne s’agira plus seulement de coûts et de services, il s’agira également de choisir la meilleure valeur environnementale. Et de ce fait, il incitera à son tour les industriels à augmenter la valeur environnementale de chacun de leurs produits… Il encouragera aussi de nouvelles manières de concevoir les bâtiments… c’est un cercle vertueux qui s’élargit de minute en minute !
Je dois en vanter un peu les mérites. D’abord parce que.. bon d’abord parce que je suis française et vous savez comment ça se passe : si je ne me vante pas un peu de quelque chose à un moment donné c’est que je ne suis pas vraiment française… mais surtout, je dois m’en vanter parce que c’est assez unique ! Les nouveaux bâtiments produits en France seront désormais conformes aux normes de neutralité carbone. Ce n’est pas un engagement prometteur pour un avenir lointain. Cela se passe en ce moment. Et ça change tout !
L’Alliance pour la Haute Qualité Environnementale que je représente également fièrement aujourd’hui possède la plus grande base de données de déclarations environnementales de produits au monde. Cela s’appelle INIES et vous devriez écrire ce nom! Cette base de données est au cœur de la RE2020 et de ce nouveau système d’évaluation.
Cette réglementation ENVIRONNEMENTALE nous donne la bonne impulsion et les bons outils. Cela nous pousse à nous poser toutes les bonnes questions, dans le bon ordre ! Et les nouveaux bâtiments ne sont que la pointe de l’iceberg (dont on peut espérer qu’il ne fondra plus) !
Je vous donne un exemple : l’Alliance HQE-GBC va bientôt livrer une étude sur la manière dont la nouvelle réglementation carbone pourrait également s’appliquer aux rénovations. Nous créons un indicateur de retour sur investissement carbone pour nous aider à savoir quand il est plus intéressant de rénover que de déconstruire et reconstruire, et quand ce n’est pas le cas. Quel est le point d’équilibre carbone ? à quel moment les bénéfices de la rénovation compensent-ils l’investissement carbone initial ? l’étude montre que si aucune attention n’est portée à cet indicateur, le temps de retour sur investissement carbone peut dépasser 50 ans pour une rénovation de bâtiment. Dans un monde où on vise les 1,5°, ce type d’information est VITAL et devrait devenir systématique dans notre vie quotidienne et nos décisions stratégiques.
Avec ce genre de méthode, vous réfléchissez à ce qu’il faut garder et ce qu’il faut retirer du bâtiment que vous devez rénover. Cela vous donne une ligne directrice constante pour hiérarchiser les opérations et éviter le superflu.
Cela fait de l’économie circulaire plus qu’une mode, cela la rend indispensable : que puis-je garder ? Que puis-je réutiliser ? Si je ne le garde pas, est-ce que ça peut être réutilisé ailleurs ?
Cela questionne l’utilisation de nouveaux matériaux et équipements ainsi que leur mise en œuvre : que faut-il installer ? où et dans quel but ? Quand faut-il choisir une technologie low-tech ou pas de tech du tout plutôt qu’une technologie d’efficacité énergétique ?
Enfin, cela interroge les interactions que le bâtiment peut avoir avec son environnement : est-il possible d’augmenter le taux d’occupation du bâtiment ? est-il possible de partager les espaces ? un parking par exemple, une pièce peu utilisée ? Cela permet de mesurer les externalités positives que peut avoir une rénovation, comme la réduction des déplacements par exemple. Cela pourrait (et devrait) même encourager de nouveaux modes de vie bas carbone à l’échelle du quartier.
Ces exemples montrent l’évolution du secteur des bâtiments. Nous sommes passés de la réglementation thermique à la réglementation environnementale : la rénovation des bâtiments suivra bientôt le même chemin.
Mais si il y a une chose que l’on a appris en France du mouvement des gilets jaunes qui a mis le feu aux Champs Elysées il y a quelques mois, c’est que la transition environnementale ne fonctionnera pas sans justice sociale. Et c’est ce qu’il y a de plus beau là-dedans : c’est du gagnant-gagnant. Vous obtenez plus de bien-être (à la fois immédiat et à long terme) pour les gens à un coût maîtrisé. Il n’y a aucun sacrifice à faire.
C’est quelque chose que nous tenons toujours à rappeler : tout projet est multi-facettes et doit être évalué sous tous les angles à la fois. L’équilibre est la clé du développement durable. Prenez n’importe quel indicateur, concentrez-vous sur celui-ci au point de devenir aveugle à tout le reste et vous êtes presque sûr que quelque chose va très vite très mal tourner. Le confort, l’eau, l’énergie, la biodiversité, pour ne citer que quelques autres sujets, sont tout aussi importants que les indicateurs carbone. Mais c’est ce sur quoi nous allons travailler l’année prochaine, donc c’est une histoire pour une autre conférence sur le climat… et j’ai déjà été trop longue.
Pour conclure, comme vous je suppose, j’ai entendu des commentaires selon lesquels cette Conférence ne serait peut-être pas aussi ambitieuse qu’elle devrait l’être.
Eh bien, pour ma part, je n’aime pas que les gens jettent l’éponge avant la fin du match.
Parce que nous le savons : le succès de cette COP dépendra du nombre d’actions concrètes qui auront lieu quand nous rentrerons chez nous.
Alors si je peux me permettre, je voudrais terminer par un message optimiste pour ceux à l’extérieur qui craignent qu’on soit en train de les laisser tomber : venez regarder de plus près le secteur du bâtiment, car ici, je suis heureuse de le dire, il y a vraiment des choses qui se passent, et nous avons les clefs de 38% de la solution !
Merci.